La révolte des peuples arabes peut-elle rendre les politiques plus vertueux ?
photo de Reuters
Certes, les débuts peuvent paraître balbutiants quand on voit la ministre de l'Économie, Christine Lagarde, évoquer, dans la foulée du départ de l'ex-président tunisien, une « vigilance particulière » sur les avoirs des familles Ben Ali-Trabelsi, avant que l'Union européenne ne se décide, le 31 janvier, de « geler » ces avoirs à la demande de l'État tunisien. Et les autorités égyptiennes ont officiellement demandé, mercredi, à la France de geler les avoirs d'Hosni Moubarak, de son épouse ainsi que de ses deux fils et de leurs épouses respectives. Une demande à laquelle Bercy s'est empressé de répondre favorablement. La décision n'était pourtant pas évidente pour des anciens chefs d'État, considérés il y a peu comme des alliés, voire comme des amis.
Pourtant, l'arsenal juridique existe et se renforce même année après année. Plusieurs leviers peuvent être actionnés. En France, la saisie et la confiscation des biens ont été grandement facilitées par la loi du 9 juillet 2010, sous l'autorité d'un juge ou du parquet. À cela s'ajoute la décision de la Cour de cassation de novembre 2010 - une première en Europe avec l'Espagne - qui permet à une ONG d'engager une action en justice - en l'occurrence Transparence International France contre les « biens mal acquis » de trois dirigeants africains en exercice - même si le parquet s'y oppose. Bien évidemment, tous les textes contre le blanchiment peuvent être mis à contribution.
Le Code monétaire et financier impose aux banques et aux assureurs (et également aux notaires, avocats et autres agents immobiliers) de déclarer auprès de Tracfin, autorité administrative indépendante, toute opération suspecte. Tracfin peut alors geler les avoirs mais pour une période limitée de 48 heures avant de saisir éventuellement la justice. C'est ce dispositif qui a été enclenché par la France, anticipant ainsi une demande d'entraide de la Tunisie et de l'Égypte.
La troisième directive européenne sur le blanchiment, transposée en France depuis 2010, resserre les mailles du filet. Elle impose aux intermédiaires financiers ou conseils une obligation de surveillance non seulement de leurs clients, de l'origine de leurs fonds mais aussi une obligation de comprendre la nature des opérations réalisées et leurs bénéficiaires réels. Une procédure lourde, contestée par les professionnels, qui y voient un moyen facile pour les États de se dessaisir de leurs prérogatives sur des agents privés. Enfin, la fameuse convention de Mérida des Nations unies contre la corruption est un outil puissant de coopération, notamment pour faciliter la restitution des biens.
L'enjeu est énorme car, selon les estimations de la Banque mondiale, à peine 1 % des sommes détournées dans les pays du Sud ont été confisquées et restituées ces quinze dernières années, soit 5 milliards de dollars. Et à lui seul, l'ancien dictateur nigérian Sani Abacha pèse pour 60 % du montant ! La convention (transposée en France depuis 2007) est cependant encore peu appliquée (et pas partout, l'Allemagne ne l'a pas encore transposée), et elle nécessite une demande d'assistance mutuelle d'un État à un autre.
Certains pays vont plus loin, comme la Suisse, souvent considérée comme un havre de paix pour l'argent sale. Elle vient d'adopter en janvier une loi très innovante qui crée une présomption d'illégitimité pour les avoirs mis à l'abri chez elle. Pour pallier les États défaillants, le Conseil fédéral (gouvernement) a le pouvoir de geler, de confisquer et de restituer, selon une procédure transparente, les avoirs illicites. Ce texte pourrait inspirer d'autres pays, même si son application reste exceptionnelle. Le cadre juridique existe et la sensibilité de l'opinion est de plus en plus forte. Il manquait la volonté politique pour lutter plus efficacement contre la corruption. Elle commence à se manifester.
la révolte des peuples arabes surprend le monde entier
Paradoxalement la révolte des peuples arabes surprend le monde entier.
Tellement ils se sont installés durant des décennies dans une image de docilité dont la seule dangerosité qu’on pouvait leur prêter ne trouvait son essence que dans l’extrémisme religieux.
Tellement le citoyen ordinaire arabe lambda ne se montrait plus capable de réagir, installé dans le confort de son inconfort paisible, insensible à la hogra ambiante, insoucieux et insensible de la dilapidation des deniers et des ressources communes, incapable de se prendre en charge et de provoquer les changements, rabaissé aux derniers rangs de tous les classements des nations et des civilisations ne demandant qu’une neutralité bienveillante et ne prétendant qu’au SMIG de la vie.
Les temps changent et les centres de l’opposition se sont déplacé des vieux partis politiques autorisés ou non vers les partis virtuels des jeunes et dans un moindre degré vers la société civile.
Pour la première fois on assiste à la naissance de mouvements sans leader réussir des changements importants avec efficacité et dans l’ordre.
Des leçons sont à tirer et des changements sont inéluctables. Certes les situations différent d’un pays à l’autre dépendamment des la sincérité et la pertinence des projets de changements mis en place, du niveau de partage des visions, du degré de maturité des acteurs et de la force des fondamentaux de la nation.
Il y’en a qui sauront conduire le changement et d’autres qui seraient éconduit par le changement.
Aussi,
il faut dire non à ceux, de tout bord, qui veulent être les héros
autoproclamés d’un combat auto déclaré, non à ceux qui, aveuglés par des
calculs très court termistes ne voient ni le sens de l'histoire ni les
fondements de la raison, non à ceux qui
ne voient ni la subtilité des choix ni le sens du mouvement. Dire OUI à
ceux qui ont choisit de faire la pression positive et la critique
constructive, oui à une opposition qui joue pleinement son rôle de
destructeur des derniers bastions des inégalités, de la corruption et du
népotisme tout en capitalisant sur l’existant, oui aux éclairés qui
optent pour la constance du changement dans la construction. Notre
contrainte est une contrainte de vitesse de changement et non de
direction du changement.
Les révolutions arabes : une leçon de démocratie
Ce discours se combine avec un autre – qui le reflète tout en le prolongeant – niant le pouvoir des peuples arabes dans ces révolutions. On assiste alors bouche bée à de savantes constructions – tout naturellement teintées d'objectivité scientifique et universitaire – qui démontrent que "ce n'est pas le mouvement populaire lui-même qui a précipité le réaménagement du pouvoir par les militaires [en Égypte], car ce réaménagement était déjà dans les tuyaux", comme l'a récemment affirmé un expert lors d'une conférence sur le sujet. Autrement dit, ce second type de discours analyse les transformations du monde arabe en ne prenant le peuple que pour quantité négligeable. Il est un acteur dans un jeu et des rapports de force qui le dépassent et sur lesquels il n'a qu'une prise marginale. Plutôt que de parler de peuple, on préfère les termes "opinion publique", "rue", "masses", "foule", etc.
Troisième discours : l'islamisme. Il y a là plus qu'une parole et un questionnement : c'est une véritable obsession. Plusieurs décennies de recherches scientifiques et d'actions diplomatiques focalisées sur le poids de l'islam et des supposés terroristes nous ont empêché de voir le mouvement de ces sociétés et les micro-résistances qu'elles étaient capables de produire (chez les ouvriers égyptiens, par exemple). Résultat : lorsque ces peuples se soulèvent, plutôt que de s'enthousiasmer, on préfère pointer les risques d'une prise de pouvoir par les islamistes. Se développe alors tout un discours managérial visant à gérer de manière réaliste le "risque frères musulmans".
Voilà donc trois discours qui décrivent notre relation au monde arabe, et elle n'est pas glorieuse : elle est faite d'ignorance, de mépris et de peur. Ignorance d'une tradition intellectuelle de critique de la dictature depuis la nahda, la renaissance arabe de la fin du XIXe siècle, avec des auteurs comme Abd al-Rahman al-Kawakibi et son ouvrage sur Les caractéristiques du despotisme (1900, rééd. Dar as-Shorouq, Le Caire, 2007), dans lequel il dénonçait les tyrans et plaidait pour l'instauration d'un régime constitutionnel. Mépris pour le peuple réduit à un acteur irrationnel grâce à l'utilisation ad nauseam de la métonymie de la "rue". Et, enfin, peur de l'islamisme qui est sans commune mesure avec sa réalité sur le terrain. C'est notre regard, focalisé sur les frères musulmans égyptiens, par exemple, qui leur donne de l'importance.
Or, s'il y a deux choses que je n'ai pas vues en Égypte, pendant la révolution, ce sont la rue et les frères musulmans. Non que ces derniers soient totalement absents de la scène politique, mais leur rôle était mineur et ne correspondait pas aux aspirations des Égyptiens. Quant à la rue, elle n'existe pas. Par contre, on peut voir un peuple, conscient de son pouvoir. On croise la joie des Égyptiens, la joie démocratique d'être ensemble et de décider collectivement d'un destin commun. Ce bonheur peut paraître simple et limité à quelques mécanismes d'autogestion sur la place Tahrir – sécurité, nourriture, santé, etc. – mais il pointe vers ce que doit réellement être la démocratie : la participation de tous et de chacun à la définition d'un vivre ensemble, en dehors des seules institutions démocratiques représentatives. Voilà peut être ce que nous avons à apprendre des révolutions arabes.
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